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Monsieur R : Dessert vivant

Publié par Aménothes

Monsieur R., banquier de son état, était sujet à de terribles crises d’angoisse. Souffrant de
difformités empêchant un homme d’accomplir ses devoirs, il paniquait à l’idée de finir ses
jours seul. Tourmenté principalement la nuit, il trouvait un apaisement certain au contact des
« petites femmes de Pigalle ». Là, il se plaisait à humer les félines odeurs, calmant ainsi ses
tourments. Les regards tristes de ces dames, arpentant les trottoirs en offrant leur plus intime
sourire, faisaient naître, en lui, une âme de sauveur. Pourtant, aucune jusqu’à présent, ne le fît
passer à l’acte.
Aucune…Mais, un soir, vraisemblablement, sous l’emprise de quelque substance obscure, il
croisa Lili, il sentît un bouleversement métabolique pour le moins inattendu se créer. Lili
devint vite une obsession, à chaque heure de la journée, à chaque coin de rue, l’épaisse
crinière rousse de la jeune femme apparaissait devant lui, furtive, insaisissable.
Durant des mois, d’une timidité maladive, Monsieur R. n’osa s’en approcher mais toutes les
nuits, se postant sur le trottoir d’en face, il l’observait. La posséder devint une obsession. Il ne
pensait pas à contraindre sa chair (et pour cause), mais il voulait s’en accaparer tel un jouet.
Il se demandait en permanence comment faire. L’héberger chez lui ? Un homme dans sa
position ? Non, pour prendre Lili, en sa demeure, il lui fallait un prétexte convenable.
Réfléchissant quelques instants, il se dit qu’un homme de son rang se devait d’avoir une
domestique. La solution fût rapidement trouvée. Monsieur R. était d’une nature gourmande, et
n’avait pas de cuisinière. Après tant d’années de malheur, il sourit enfin et rêveur, balbutia :
« Lili, Ma cuisinière. »
Il courût la rejoindre à la tombée de la nuit, et non sans bégayer, lui fit sa proposition. Lili fût
amusée, croyant d’abord à une plaisanterie, puis voyant que Monsieur R. était tout à fait
sérieux, elle se laissa tenter par l’aventure, et accepta.
Dès qu’il eût sa réponse, il la prît par le bras, et la conduisit en son antre. Là, il s’approcha
d’elle, prit la chevelure entre ses doigts dégoulinants de sueur, et finit par la renifler
longuement. La répulsion fût immédiate, Lili le repoussa violemment, une fureur soudaine
s’empara de Monsieur R. qui ordonna : « J’ai faim, à la cuisine, femme, et que ça saute ! ».
L’espace d’un instant, Lili s’imagina enfermée jusqu’à sa mort dans une pièce lugubre, devant
cuisiner pour cet être imprévisible. Son univers finît de s’assombrir, lorsqu’il la poussa dans
la funeste pièce, sa main agrippant toujours sa crinière.
Ses yeux se posèrent alors sur un couteau de cuisine dont elle s’empara pour trancher ses
liens, sectionnant la main de l’homme par la même occasion.
Pendant que celui-ci hurlait et pleurait tel un enfant ayant perdu son jouet, elle déposa
délicatement sa cueillette dans une casserole et commença à la faire cuir. Bien entendu, une
fois prêt, il ne fût pas question pour Monsieur R. de refuser ce plat si délicat, après tout, sa
faim n’avait pas encore été rassasiée. Péniblement, l’homme mangea ce goûteux plat de

résistance, mais la chair ne devait pas être assez tendre car à la dernière bouchée notre pauvre
Monsieur R. vomit et s’écroula face contre terre.
Comme, il n’était pas concevable pour notre belle dame de terminer un repas sans dessert, elle
observa un instant le corps étendu à ses pieds et dit : « Pour le dessert…je vous proposerais,
quelques boudoirs accompagnés d’une gelée à la menthe ». Puis elle trancha les orteils de
l’homme.
Ressentant un certain soulagement, n’ayant jusqu’ici envisagé son avenir que dans les brumes
nocturnes d’un Pigalle insalubre…Elle abaissa le couteau, et tout devint plus lumineux; elle sortît
de l’antre souriante, bien décidée à changer d’activité….