Chère Lili,

Hier, j'ai croisé un être rare, d'une folie douce et légère. Un être fragile et si volontaire. Nous avons parlé de Leibniz et du meilleur des mondes possibles. Bien entendu j'ai évoqué Gadamer et son concept de vérité esthétique, que , comme tu l'imagines , j'ai étendu au concept de vérité morale.

Puis, sans savoir pourquoi ni comment la discussion a dévié. A la cartésienne que je suis, avec passion, il m'a décrit un monde d'énergie cosmique, et m'a plongée dans un univers de Lutins et de fées.

Voudrais-tu me croire si je te disais qu'en d'autres circonstances je m'y serais laissée conduire?

Je vois d'ici tes yeux malicieux et ton sourire me disant : "plonge". Tout comme ces après-midis et ce fameux soir où j'ai refusé de te suivre.

L'être dont je te parle a été honnête, avec courage, il m'a parlé de ses expériences, ses descentes aux enfers.... Puis j'ai dévoilé, pour la première fois, cette soirée. J'ai revu ton sourire radieux, tes yeux pétillants, "viens, viens, ici tout est beau" me disais-tu au milieu de ces morts vivants.

J'ai ressenti la peur, cette même peur qui me faisait rester sur la route en te voyant passer ce petit corps par la fenêtre...La même image, le camion qui te fauche, tes membres voltigeant dans le ciel noir et ce sang...mon âme sœur, ma sœur jumelle, ma sœur de scène, ma sœur d'âme, ma sœur d'armes.

Dieu Lili, pourquoi n'ai-je pas plongé avec toi ce soir là? Pourquoi ne suis-je pas montée dans cette voiture? Pourquoi n'ai-je pu t'empêcher de t'y engouffrer? Je pestais après ton instinct de mort , auto-destruction, folie; Tu étais rassurée par l'instinct de survie, la sagesse de "ta grande sœur". A quoi m'a servi cette sagesse?

L'être dont je te parle puise dans des réserves incroyables pour retrouver la vie. Comme j'aurais aimé que ce soit toi, là assise en face de moi, avec cette volonté de vivre.

Je t'embrasse ma Lili, j'espère que là-haut ta folie met le désordre et rend le ciel plus gai..

Ton âme sœur, ta sœur jumelle, ta sœur de scène, ta sœur sans âme, ta sœur sans arme.